jeudi 28 juin 2012

Les grenouilles Samouraïs de l’étang des Genji


(Texte des Kazunari Hino -Traduit du japonais par Renée Garde)

 C’était, par un matin d’été, sur l’étang des Genji. On entendait chanter grenouillettes et grenouillets qui jouaient à « un-deux-trois-perdus ! » et à « chat perché » sur les feuilles de nénuphars.
Ah ! Comme il était grand l’étang des Genji, et comme il était vieux ! On ne savait plus depuis quand, au bord des eaux claires, poussaient tout plein de belles fleurs et de jolies plantes.

A l’ombre d’un cyprès plusieurs fois centenaire vit Grand-Père Crapaud tout plissé de rides.  A ces éclats de voix, voilà qu’il ouvre un œil… Il lâche un gros éternuement avant de mettre son biwa sur ses genoux et de gratter les cordes : beng, beng, beng

Grand-Père Crapaud au son de l’instrument accorde sa voix rauque et se met à chanter :
« Du monastère de Gion la cloche en écho
Et de l’arbre de Shara la couleur changeante
Dans un bruissement nous racontent
Qu’au souffle du vent les fleurs s’éparpillent
Et que même fortes les grenouilles faibliront. »
Beng beng beng beng beng beng…

Les petits aussi se mettent à chanter :
« Grand-Père Crapaud qui fait beng beng beng.
Grand-Père Crapaud tout plissé de rides.
Jusqu’au fond de ses rides, il se plisse encore
Beng beng beng, il se plisse encore… »

Alors Grand-Père Crapaud tout heureux leur dit :
Venez tous par ici, venez ! Je vais vous raconter une très vieille histoire, la très vieille histoire de la bataille de Genji et des Heiké.  Cela se passait à l’époque où le cyprès plusieurs fois centenaire n’était pas plus haut que vous, mes chers petits. Vous voyez comme elle est ancienne, mon histoire…
« Au bord de l’étang des Genji, depuis toujours vivaient plein de grenouilles, Crapauds des joncs, rainettes vertes et rainettes rousses. Le seigneur de l’étang, un crapaud tacheté, était un samouraï du clan des Genji et c’est pourquoi cet étang s’appelle l’étang des Genji, voyez-vous. Au bord de cet étang les jours s’écoulaient heureux et paisibles, et l’on entendit, porté par le vent, le son des pipeaux des grenouilles musiciennes.

Mais par un bel été survint la catastrophe : il faisait noir, très noir et chaud, quand un cri transperça la nuit.
« Au secours, au secours, quelqu’un ! »
Se demandant ce qui pourrait bien se passer, les grenouilles s’assemblèrent et, tremblant de peur, s’approchèrent. Elles virent une dame rainette verte avec une affreuse balafre dans le dos, et en tenue de samouraï une rainette rousse venue à son secours.
« La blessure n’est pas profonde. Remettez-vous, Madame. Mais que s’est-il passé ? »
La dame répondit : « Un monstre aux yeux luisants m’a soudain saisie de sa griffe et m’a jetée par terre. »
Sur le sol, au nombre de quatre, il y avait des empreintes que l’on n’avait jamais vues.
La grenouille samouraï s’adressa humblement à un jeune sonneur : « Messire Ushiwakamura, je vous prie d’annoncer avec votre pipeau qu’un monstre est apparu. »
Le jeune musicien souffla dans son pipeau : « Annonce à tous, alerte générale ! Aux abords de l’étang, un monstre est apparu ! Allez tous vous cacher tout au fond de l’eau ! ».

On réveilla le seigneur Yoritomo, le plus illustre du clan, qui donna l’ordre au Général des brigades Yoshinaka de lui faire un rapport. Puis, il se rendormit. Messire Yoshinaka donna l’ordre à ses samouraïs de lui faire un rapport. Puis, il bailla très fort. C’est alors qu’arriva une rainette rousse qui dit : « Je me permets, Messire Général, de vous signaler qu’on a trouvé près de l’étang des empreintes au nombre de quatre ainsi que ceci. » Elle lui tendit un objet long et blanc.
« Qu’est-ce que ça peut être ? C’est un objet dur mais souple… Tomoé, qu’en penses-tu ? »
Alors Tomoé répondit : « A mon humble avis, cela vient de la moustache d’un chat Heiké. Ces chats sont des êtres malfaisants qui depuis toujours s’amusent à nous terroriser, nous les pauvres grenouilles… Oui, ce doit être un poil de la moustache de Munémori qui demeure dans le bois des Heiké ! La cicatrice sur ma joue, c’est un des mauvais coups de ce chat-là ! »
« Au combat ! Samouraïs de l’étang, venez tous ! »
Sur ordre du seigneur Yorimoto, les grenouilles samouraïs de l’étang prirent leurs armures, leurs casques et leurs lances et se rassemblèrent tout autour de l’étang. Ce jour-là, le Général Yoshinaka portait une tunique en feuilles de bambou. Une armure à lacets d’églantier pourpre, et son casque en coquille de noix était garni de ronces en guise d’antennes. Il tenait un arc en tige de prêle et se disait que vingt flèches en aiguilles de pin devraient venir à bout d’un chat Heiké.
Tomoé, la guerrière au bandeau blanc sur la tête, cria : « En avant ! »


Cela faisait quand même une armée de dix mille grenouilles, et toutes vaillamment poussaient leur cri de guerre : « Oh… Hé ? Oh… Hé ! » en se portant à l’assaut du bois des Heiké. Mais avant même d’atteindre le bois… elles voient surgir ce chat malfaisant ! Voilà qu’au milieu des grenouilles, il fait un bond, donne des coups de dents, de griffes de tous côtés. Les grenouilles samouraïs envoient leurs flèches, mais les aiguilles de pin ne font pas mal au chat. Elles donnent des coups de lance, mais leurs lances-pissenlits ne font pas mal au chat, et leurs poignards en épines de cédratier ne se plantent pas dans son corps.
Pour les grenouilles malmenées, le combat fut perdu. L’armée de dix mille grenouilles battit en retraite. Le seigneur Yoritomo n’en revenait pas : les rangs de ses vaillants Genji avaient été vaincus. Il ne comprenait pas et ne savait que faire. C’est alors que le chat se montra et fit un tour de l’étang, qui laissa les grenouilles tremblantes comme des feuilles. Ah ! Que ce chat des Heiké était effrayant !
Derrière les grenouilles adultes regardant le chat, il y  avait un grenouillet, le jeune sonneur Ushiwakamaru, qui proposa une tactique géniale : « Les chats depuis toujours vivent sur la terre ferme, où nous ne pouvons l’emporter. Mais si nous, grenouilles, combattons sur l’eau, ce n’est pas un chat incapable de nager qui nous vaincra ! »
« Holà, méchant chat des Heiké ! Tu veux quelque chose à te mettre entre les griffes ? »
Et d’un bond, d’un seul sous le nez du chat, voilà qu’Ushiwakmura l’attire jusqu’au bord de l’étang. Sur l’étang flottait une feuille de nénuphar et Hop ! Ushiwakamura saute dessus. Le chat le suit sur une feuille énorme, qui ne s’enfonce pas. Ushiwakamura saute sur la feuille suivante et attend sans bouger.
« Il est fait ! » Se dit le chat en bondissant.
Aussitôt le nénuphar se mit à couler.
« Car, vois-tu, si tu t’engages sur une feuille pleine de trous, elle s’enfonce ! »
Le chat, dit-on, tout au fond de l’étang se  transforma en un tout petit crabe et c’est pour ça, dit-on, qu’au fond de cet étang, l’on trouve des crabes « à masque de Heiké ».

Ainsi se termine mon histoire de la guerre des Genji et des Heiké. » 
A ces mots, Grand-Père Crapaud s’enveloppe dans ses rides et sombre dans sa sieste.
Ciel d’été par-dessus l’étang, les petits aussi font la sieste au son d’une berceuse apportée par la brise tout doucement sur l’étang paisible des Genji.



Berceuse de l’étang des Genji

Les sept herbes du printemps, dites-moi, je vous prie leur nom !
La ravenelle, le chou-navet, la lampsane, la morgeline, la bourse à pasteur, le cerfeuil et l’immortelle.

Les sept herbes de l’automne, dites-moi, je vous prie, leur nom !
La mignonette, la puéraire, l’eupatoire, l’aigrette argentée, le grand trèfle des prés, la valériane…

Et pour la septième, que dirons-nous, le liseron pourpre ou la campanule ?

Eh bien, nous choisirons dans nos rêves !



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